La déconnexion s’accentue entre prix agricoles et prix alimentaires

28 avril 2016
Euro_alimentaire

Rendu public le 11 avril, le rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges montre que la baisse des prix agricoles, déjà notable en 2014, s’est poursuivie en 2015. Avec des prix en magasin qui restent stables, la déconnexion entre les prix des produits agricoles et ceux des biens alimentaires achetés par le consommateur s’avère de plus en plus marquée.

Après une baisse de 5,3 % en 2014, les prix agricoles accusent en 2015 un retrait de 2,4 %, indique le rapport 2016 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires présenté par Philippe Chalmin, président de l’observatoire, le 11 avril. En dehors des œufs et des fruits et légumes, les prix payés au producteur ne permettent pas de couvrir les coûts de production pour la majorité des filières étudiées, même en y ajoutant les aides. Affichant une baisse de -15 % du prix payé à la production, les produits laitiers sont les plus impactés, avec un prix moyen à 0,34 €/L en 2015, inférieur de  10 centimes au prix nécessaire pour rémunérer les producteurs aux standards habituellement retenus ( soit 1,5 SMIC pour le travail et taux du livret A pour la rémunération du capital ). Même tendance pour les produits carnés, avec des prix payés aux producteurs en baisse de -1,4 % à -7,2 % selon les produits. Si leurs coûts de production restent relativement stables, les éleveurs de bovins viande accusent donc une nouvelle baisse de leur marge nette : 19 € manquants sur 100 kg vif pour un éleveur-engraisseur,  47 € pour un engraisseur. Les éleveurs porcins déplorent quant à eux un manque à gagner de  8 centimes par kg de carcasse sur un prix moyen de 1,4 €.

Les GMS reconstituent leurs marges

« Le maillon industriel des filières carnées a, pour les produits suivis par l’Observatoire, généralement transmis la baisse du coût de ses approvisionnements en matière première », indique le résumé du rapport, avec une stabilité relative de ses indicateurs de marge brute. Le maillon avait reconstitué ses marges en 2014. Dans les industries de la viande, la marge nette de l’abattage-découpe de bovins diminue ainsi en 2015 avec en moyenne  8 centimes par kg de carcasse traité contre 12 centimes en 2014. Quant à l’abattage-découpe de porc, il voit son résultat net repasser en négatif
en 2015. Malgré ces baisses plus en amont de la filière, les prix à la consommation augmentent faiblement en 2015, indique le rapport qui fait état d’une hausse de + 0,5 %. En GMS, la marge nette des rayons des distributeurs n’est connue que pour 2014 et montre des variations importantes selon les rayons : pour 100 € de chiffre d’affaires, la marge nette du rayon charcuterie est de 8,9 €, de 0,2 € sur les produits laitiers, -1,1 % pour le rayon boulangerie, 2,1 € pour le rayon fruits et légumes. Les indicateurs de marge brute connus pour 2015 montrent des résultats variables sur le rayon boucherie : en diminution pour la découpe de volaille, les côtes de porc, stables pour la viande bovine, en hausse pour le jambon cuit, la longe de porc, le rôti. Cependant, si l’on attend les chiffres de l’année passée, « je peux imaginer qu’en 2015, il y a eu implicitement reconstitution des marges qui en 2014 avaient été réduites à 0 », indique Philippe Chalmin, en citant l’exemple du lait dont les prix payés au producteur étaient assez hauts en 2014.

Une révolution culturelle pour le monde agricole

Néanmoins, « personne ne s’en met « plein les poches » sur une longue période dans un régime de concurrence, si ce n’est paradoxalement le consommateur », explique l’économiste dans l’avant-propos ( qui n’engage pas l’observatoire ). Philippe Chalmin n’oublie pas non plus la limite du rapport : les produits étudiés restent les produits de base, qui ne constituent pas l’essentiel de ce qu’achètent les consommateurs, de plus en plus friands de produits transformés dans lesquels la part agricole est très faible. D’une façon générale, « l’écart est net en termes de prix et la relation de plus en plus complexe entre les prix agricoles et ceux des produits achetés par le consommateur », écrit-il. S’il y a une conclusion à tirer de ces observations, c’est pour lui la « véritable révolution culturelle » que vit le monde agricole, « avec la disparition quasi totale des mécanismes d’encadrement des marchés qui, pendant un demi-siècle, avaient contribué à stabiliser les prix européens. La plupart des prix européens sont désormais en prise directe avec les marchés mondiaux », constatet-il. La baisse des prix agricoles français en 2015 est à relier avec le contexte global, notamment l’embargo russe pour la viande de porc et de bœuf, et la surproduction liée à la fin des quotas et baisse de la demande chinoise pour le lait. Reste un regret, pour Philippe Chalmin : « peut-être l’observatoire pourrait-il être mieux utilisé en amont des crises comme ce que nous avons voulu qu’il soit : un lieu de dialogue et d’écoute ».